Et si un trésor dormait sous Saint-Sernin ?
Des torques (colliers) gaulois en or conservés au musée Saint-Raymond/DR. JF_Peiré C.
«Il va y avoir des fouilles à Saint-Sernin ? Très intéressant ! Surtout, tenez-moi au courant» lance Jacques Mandorla. Ce journaliste parisien, passionné de numismatique, vient de publier «60 trésors fabuleux à découvrir». Dans ce livre bourré d'anecdotes amusantes, l'auteur fait l'inventaire des plus célèbres trésors cachés, en France et à l'étranger, et donne des pistes précises à tous les détectoristes qui rêvent d'exhumer un magot. Le premier chapitre est consacré à l'or de Toulouse, car, explique Jacques Mandorla, «c'est le plus ancien trésor répertorié. Il date de -279. Cette légende de l'or gaulois est bien connue des chercheurs de trésors». Dans ce milieu d'aventuriers parfois un peu allumés, «l'or de Toulouse a une notoriété aussi grande que le trésor caché de Rennes le Château, ceux des Templiers et des Cathares. En tout cas, s'amuse Jacques Mandorla, si comme vous me l'annoncez la municipalité envisage de rénover l'esplanade de Saint-Sernin, cela vaut le coup de sonder assez profondément les sous-sols. Sait-on jamais ! Cela pourrait financer votre 3e ligne de métro».
Selon la légende, la basilique romane serait construite sur un ancien sanctuaire gaulois, où fut d'abord édifiée une première église dédiée à l'évêque martyr Saturnin, au IVe siècle après J.-C.. On raconte qu'au temps de la Gaule antique, il y avait à cet endroit un lac sacré, qui fut en partie asséché, mais qui serait toujours là, dans les entrailles de la basilique. Et c'est dans ce plan d'eau que les Celtes du IIIe siècle avant Jésus-Christ, appelés Volques Tectosages, auraient enfoui «l'or de Toulouse». Autrefois, dans le quartier de Saint-Sernin, des habitants auraient entendu des bruits d'eau sous leurs maisons. Au XVIIIe siècle, des notables toulousains ont exploré les souterrains de la basilique à la recherche du fameux plan d'eau. Certains ont raconté l'avoir trouvé (lire ci-contre).
Cette vieille histoire de trésor et de lac fantôme refait surface depuis qu'on a annoncé une campagne de fouilles à Saint-Sernin. La légende amuse, à une période où nos édiles cherchent de l'argent partout pour renflouer les caisses de la ville.
«60 trésors à découvrir», 271 pages, est édité par le groupe Pikto à Escalquens, aux éditions Trajectoire.
L'or de Toulouse entre rêve et réalitéDes historiens de l'Antiquité ont été les premiers à évoquer l'histoire d'un trésor maudit rapporté à Toulouse par les Volques Tectosages, peuple nomade de la Gaule antique, au IIIe siècle avant Jésus-Christ. Cette légende a traversé les siècles. En -278 avant notre ère, une armée celte, menée par son chef Brennus, voyage en Grèce et pille le temple d'Apollon à Delphes, rempli de toutes les offrandes précieuses laissées par les Romains qui allaient y consulter la pythie. Les Celtes arrivent avec leur butin à Toulouse, où peu de temps après une épidémie de peste se déclare. L'or volé, considéré comme maudit, est alors jeté par des druides dans un lac sacré. En 106 avant Jésus-Christ, Cépion, un consul romain, récupère une partie du trésor enfoui dans l'eau. Mais sur la route de Rome son convoi est attaqué par des bandits. Seulement, Cépion n'a pas tout emporté. Beaucoup d'objets précieux sont restés dans le lac qui, d'après la légende, pourrait se trouver à Vieille-Toulouse, ou, autre hypothèse encore plus romanesque, sous la basilique de Saint-Sernin. En 1782, un historien, le baron de Montégut, conseiller au Parlement de Toulouse, raconte le témoignage d'un Toulousain qui a découvert un escalier sous la basilique conduisant à une galerie entourant un lac. Un sous-préfet, le baron Etienne-Léon de Lamothe-Langon veut en avoir le cœur net. Descendant 132 marches, il aurait lui aussi abouti «à une vaste salle soutenue par d'énormes piliers. Le milieu de cette enceinte était occupé par un grand lac dont les eaux froides et silencieuses paraissaient dans un repos constant». Mystère, mystère.
«Je ne crois pas à la présence d'un lac sous Saint-Sernin»Quitterie Cazes est médiéviste, enseignante à l'Université Jean-Jaurès, et auteur d'un ouvrage de référence, «Saint-Sernin de Toulouse» aux éditions Odyssée.
En tant que spécialiste de Saint-Sernin, que pensez-vous de la légende de l'or de Toulouse ?L'histoire des Volques Tectosages qui conservaient leurs trésors dans des lacs sacrés est racontée par Ciceron au Ier siècle avant Jésus-Christ. Mais personnellement je ne crois pas en la présence d'un lac sous Saint-Sernin. Ce qui est vrai, c'est que du côté Nord, il y a deux petites portes en fer qui ouvrent sur un couloir et un escalier. A 5 ou 6 mètres de profondeur, on aboutit à un puits. Ce puits est contemporain de l'aménagement de la nef au début du XIIe siècle. C'est à partir de ce point d'eau que s'est développée la légende d'un lac souterrain.
Faudrait-il sonder ce puits ?On peut s'amuser à vider le puits si on veut. Mais il ne peut pas y avoir de lac, car la place Saint Sernin est en pente. Du côté café Saint Sernin on est 2 ou 3 mètres au-dessus du musée Saint-Raymond. Par ailleurs il ne peut pas y avoir de remontée d'eau à Saint-Sernin car on est sur une terrasse de la Garonne.
Pourquoi alors cette légende ?Il y a toujours eu beaucoup d'histoires qui ont circulé à Toulouse. On m'a affirmé dernièrement que quelqu'un avait vu un couloir voûté creusé sous la Garonne, qui permettait aux moines d'aller rejoindre les religieuses à l'hôtel-Dieu. Aujourd'hui encore on continue de rêver. Les légendes sont toujours plus affriolantes que la réalité.
Vous défendez l'idée qu'il faut fouiller sous la place Saint-Sernin, pourquoi ?À l'occasion des fouilles préventives, nous pouvons espérer retrouver les vestiges du cloître roman dont les chapiteaux sont conservés au musée des Augustin, et surtout, le plus important, la tombe de l'évêque Saturnin. On sait qu'il y a dans le sous-sol un tas de mausolées, de bâtiments funéraires, d'églises et de lieux fondateurs de Toulouse.
Vous aimeriez que les vestiges soient valorisés dans le projet de l'urbaniste Joan Busquets ?Ce serait un atout formidable pour Toulouse. Des villes espagnoles comme Saragosse, Valence, Barcelone ont mis en valeur leurs vestiges qui attirent énormément de touristes. Ce que je suggère, faire les fouilles d'abord, et construire un projet autour. On peut transformer ça en aventure culturelle. Le milieu des archéologues commence à s'agiter sur ce projet.
Sondages archéologiques cet étéAvant la réalisation d'une nouvelle esplanade, dessinée par l'urbaniste catalan Joan Busquets et destinée à valoriser le site majestueux de Saint-Sernin, le service d'archéologie de Grand Toulouse dirigé par Pierre Pisani, «va effectuer cet été des sondages archéologiques préventifs tout autour de la basilique, en commençant par le parvis côté rue du Taur», annonce Annette Laigneau, adjointe au maire chargée de l'urbanisme. «Ces diagnostics seront transmis à la Drac. Des fouilles plus importantes sont prévues côté lycée à l'emplacement de l'ancien cloître roman. Si vraiment on trouvait un indice irréfutable, par exemple des pièces de monnaie, ou si la Drac soupçonne la présence de quelque chose exceptionnel, on creusera plus profond. Mais, conclut en souriant Annette Laigneau, tout ce que j'ai pu lire sur l'or de Toulouse me paraît relever de la pure légende».
Recueilli par Sylvie Roux
Source :
http://www.ladepeche.fr/article/2015/04/19/2090271-et-si-un-tresor-dormait-sous-saint-sernin.html