Les Celtes mènent la danse

« À CAUSE D'UN GENOU fragile, on m'a refusé à l'école de danse. Quand je suis rentrée à la maison, je me suis pris une de ces roustes ! » Ce souvenir d'une jeune femme croisée à Belfast en dit long de la place qu'occupe la danse celtique dans la capitale de l'Ulster. Comme le football et le rugby pour un garçon, on n'imagine pas en Irlande du Nord qu'une fille grandisse sans danser la gigue dans les règles de l'art.


Chaque quartier de Belfast a donc son école de danse. Comme celui d'Ardoyne, qui a donné de nombreux danseurs à Riverdance, la plus célèbre des troupes irlandaises (lire ci-dessous). Et lorsqu'on s'attend à visiter une académie dorée, on découvre entre les maisons de brique rouge et les fresques peintes à la mémoire des catholiques tués lors du conflit nord-irlandais une MJC on ne peut plus modeste et populaire.

Au premier étage du Ardoyne Youth Club, dans la petite salle de danse pleine de trophées, Aileen Toal, qui a fondé l'école voilà trente-cinq ans, et sa fille Arlene, qui a pris sa succession, attendent avec une vingtaine de fillettes en robe verte et chignon de compétition et un garçonnet cravaté. Ils se sont faits beaux pour nous, mais surtout pour les neuf stars nationales de Riverdance, qui viennent les rencontrer et danser avec eux.

« Souriez, soyez moins raides », leur demande leur professeur. Mais c'est comme si les poussins d'un club de banlieue recevaient les footballeurs de l'équipe de France. Les petits danseurs regardent les grands comme des divinités. Surtout Christina Havlin, qui était élève dans leur école avant de remporter tous les prix internationaux et d'intégrer Riverdance. « Comme ces fillettes, j'ai commencé à 4 ans et je pratique la danse depuis vingt-deux ans, sourit l'artiste. Mon Dieu ! La danse, c'est toute ma vie. Comme un sportif de haut niveau. »

On comprend ce qu'elle veut dire lorsqu'après quelques minutes d'exhibition, ces danseurs d'élite qui s'entraînent cinq heures par jour sont en nage et presque essoufflés. « Trente ans de danse irlandaise dans les jambes, c'est le maximum, avoue Brandon Dorris, le chorégraphe de la troupe et son doyen, de... 31 ans. Je suis près de la date de péremption, et vais devoir penser à ma reconversion. »

Elle-même ancienne danseuse professionnelle, Arlene Toal rêve de réconciliation. Elle veut utiliser sa passion pour rapprocher catholiques et protestants, en paix depuis une dizaine d'années. « A l'époque où je dansais, c'était impensable, mais aujourd'hui, c'est réalisable, assure-t-elle. Dans nos cours, on commence à accueillir des enfants protestants, on va danser dans les quartiers protestants. C'est timide, mais possible. » Pas question pour Arlene de faire mentir la devise inscrite au fronton du Ardoyne Youth Club : « Believe, achieve, succeed. » Crois, accomplis, réussis