Gerry Conlon (1954-2014), Irlandais du nord et symbole de l’injustice
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Catusagios Admin
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Sujet: Gerry Conlon (1954-2014), Irlandais du nord et symbole de l’injustice Mer 25 Juin 2014 - 5:41
Gerry Conlon (1954-2014), Irlandais du nord et symbole de l’injustice
Il personnifiait la pire erreur commise par la police et la justice britanniques au pire moment de la guerre civile irlandaise des années 70. Gerry Conlon, condamné à tort à la prison à vie pour un attentat à la bombe dans un pub commis par l'Armée républicaine irlandaise (IRA) en 1974, est mort samedi 21 juin à Belfast. Il avait soixante ans et souffrait d'un cancer du poumon.
« J'ai passé quinze années en prison pour quelque chose que je n'ai pas fait, déclare-t-il le 19 octobre 1989 à la foule qui l'attend à sa sortie de détention. J'ai vu mon père mourir en prison pour quelque chose qu'il n'avait pas fait. Je suis totalement innocent ». L'ancien gamin des quartiers catholiques pauvres de Belfast-ouest a raconté son destin cauchemardesque dans un livre intitulé Innocenté, qui inspira, en 1993, le film Au nom du père de Jim Sheridan, où Daniel Day Lewis incarnait avec force son personnage.
Né le 1er mars 1954 à Belfast, déscolarisé à quinze ans, employé comme gardien d'usine puis comme livreur, il se décrira plus tard comme « une sorte de hooligan », sûrement pas comme un activiste politique. Mais, dans les années 1970, la campagne d'attentats à la bombe de l'IRA nourrissait le sentiment, appuyé par de vieux préjugés racistes, que « tous les Irlandais devaient être tenus pour suspects », rappelle aujourd'hui Owen Jones, chroniqueur au Guardian.
Dans ce contexte de terreur et de suspicion généralisée, Gerry Conlon, petit délinquant irlandais monté à Londres, fut arrêté le 30 novembre 1974, peu après l'attentat à la bombe commis au pub « The horse and groom » de Guilford (Surrey) au cours duquel cinq personnes dont quatre militaires avaient trouvé la mort. La suite est un enchaînement de mauvais traitements, de preuves fabriquées et d'erreurs judiciaires qui, à leur corps défendant, allaient rendre célèbres les « Quatre de Guilford »: Gerry Conlon et ses trois prétendus complices.
PREUVES FABRIQUÉES
Cagoulé, enchaîné, battu, maintenu à l'isolement, humilié, torturé dans des conditions qu'il rapprocha bien plus tard du sort des prisonniers de Guantanamo, le jeune Irlandais finit par signer des aveux complets après qu'un policier eût menacé sa mère et sa sœur. Le juge qui le condamna à la prison à vie en 1975 regretta publiquement qu'il n'ait pu être poursuivi également pour « trahison », crime passible à l'époque de la peine de mort.
Son propre père Guiseppe connut bientôt le même sort que lui, pour avoir cherché à rencontrer ses avocats au cours d'un voyage en Angleterre. Ancien ouvrier dans une usine de plomb, malade des poumons, il devait mourir en prison en 1980, protestant de son innocence et prédisant que son décès servirait de catalyseur pour l'établissement de la vérité.
Il fallut encore près d'une décennie pour que cette prophétie se réalise. Des documentaires télévisés et une campagne menée par d'anciens juges et un cardinal, avaient commencé à semer le doute. En 1988, les policiers d'Avon et du Somerset établirent que leurs collègues du Surrey avaient fait disparaître du dossier un alibi qui excluait la participation de Conlon à l'attentat de Guiford. Le procès en appel montra que l'accusation avait été entièrement fabriquée. Quinze ans après, le gamin de Belfast recouvrait la liberté. Mais sa vie était fracassée.
EXCUSES DE TONY BLAIR
« Il vaut mieux parfois que je n'aille pas dormir car les souvenirs m'attendent », confia-t-il alors. Entre alccol, drogue et tentatives de suicide, Gerry Conlon ne parvint jamais à se reconstruire. Il dépensa en six semaines les 120 000 livres que lui rapportèrent les droits du film Au nom du père, nominé aux Oscars. L'argent de son indemnisation suivit le même sort. En 2005, il reçut les excuses du premier ministre Tony Blair et commença à la même époque à mener campagne contre les injustices.
En Australie, il prit la défense des Aborigènes; aux Etats-Unis, il s'exprima publiquement en faveur de détenus innocents et mit en avant son propre destin comme puissant argument contre la peine de mort. La cause de Binyam Mohamed, un Ethiopien réfugié au Royaume-Uni , détenu à Guantanamo pendant cinq ans sans inculpation, soumis à des « traitements inhumains et dégradants » et finalement remis en liberté en 2009 a été parmi ses derniers combats.
Figure emblématique des « quatre de Guilford », symbole de l'injustice de la répression britannique en Irlande du Nord, Gerry Conlon disait n'avoir « aucun souvenir d'enfance ». Mais il se rappelait précisément de « tout ce qui était arrivé » depuis le jour de son arrestation, en 1974. Jamais il n'avait réussi à faire fuir les fantômes de ses quinze années passées en enfer.